Un article paru sur Zenit
A partir de ce mercredi 14 mai, les Cristeros débarquent sur le territoire français à travers un film diffusé dans 61 salles de cinéma. Un long-métrage qui permet de découvrir un épisode méconnu de l’histoire mexicaine : le soulèvement populaire des catholiques pour défendre la liberté religieuse contre un gouvernement farouchement anticlérical entre 1926 et 1929.
Partenaire de cet événement, Histoire du Christianisme Magazine consacre un hors-série entier à ce sujet. En outre, deux livres signés par Jean Meyer, le spécialiste mondial des cristeros, qui a redécouvert ce pan occulté de l’histoire dans les années 60, sont publiés aux éditions CLD.
Dans cette première partie d’entretien, Jean-Yves Riou, directeur de la rédaction d’Histoire du Christianisme, évoque l’histoire des cristeros, « le mouvement populaire le plus important de la période de la révolution mexicaine », mouvement où « toutes les générations sont engagées ».
Zenit – De quoi parle-t-on quand on utilise le terme « cristeros » ?
Jean-Yves Riou – Entre 1926 et 1929, au Mexique, les cristeros sont des paysans qui se soulèvent contre le gouvernement pour défendre la liberté religieuse. Les cristeros ne sont pas que des paysans, mais ils sont essentiellement des gens des campagnes, dans un pays où ces derniers représentent 70 % de la population. L’un des cris de ralliement de ces hommes est « vive le Christ-Roi ! ». Ce sont leurs adversaires qui les baptisent cristeros. Eux-mêmes se présentent comme l’Armée de libération nationale, les défenseurs, les populaires… Cristeros est donc un sobriquet dont ils vont faire un titre de gloire tant il exprime le cœur de leur lutte. Leur histoire, la Christiade, la geste des cristeros, est un épisode de la révolution mexicaine qui se déroule entre 1910 et 1940. Un épisode longtemps occulté.
Pourquoi occulté et par qui ?
Occulté par l’État et par l’Église. Il faut d’abord préciser que le soulèvement a été une surprise pour l’État comme pour l’Église. Au début, l’État a cherché sans succès les traces d’un complot clérical. En tout cas, dès son terme, l’été 1929, le sujet est tabou. La Christiade devient un secret de famille. On la nie. L’Église pour des raisons de prudence et l’État parce qu’elle n’entre pas vraiment dans la mythologie de la Révolution : un peuple qui se soulève contre ses guides autoproclamés, cela fait désordre. Bref, ni l’État « révolutionnaire », incapable d’expliquer pourquoi il a mené pendant trois ans une guerre coloniale contre son propre peuple, ni l’Église, qui n’est peut-être pas irréprochable, ne veulent entendre parler de la Christiade.
Pas irréprochable ? Vous pouvez préciser ?
Le conflit est provoqué par la faction radicale à la tête de l’État. Il n’y a pas de doute là-dessus mais, la réponse des évêques, la suspension du culte public le 31 juillet 1926 à minuit, est l’un des facteurs déclencheurs de l’insurrection. Les historiens pensent aujourd’hui que ce sont les évêques les plus radicaux qui ont arraché cette décision à leurs confrères. Bien sûr, il faut nuancer, en amont, les autres causes sont l’arrivée de Calles à la présidence en 1924, la tentative de l’État de créer une Église constitutionnelle en 1925, les provocations et même les persécutions et bien entendu les lois dites Calles qui en 1926 mettent en application les articles les plus anticléricaux de la constitution.
A la fin de la Christiade, poussés par les États-Unis, les représentants romains et les deux évêques désignés négocient la reprise du culte avec le gouvernement, mais les cristeros ne sont pas consultés. A la demande des clercs, les cristeros déposent les armes alors qu’ils n’ont pas été vaincus militairement. Bien au contraire, ils sont en position de force. Mais ils obéissent, souvent la mort dans l’âme. Malgré les sauf-conduits accordés, environ cinq mille anciens combattants – des cadres – sont assassinés. Concernant la position du Saint-Siège, les historiens se demandent aujourd’hui si les négociateurs n’ont pas interprété les consignes romaines dans un sens trop favorable au gouvernement.
Et comment la Christiade est-elle devenue publique ?
Grâce à un jésuite mexicain ! Dans les années soixante, un étudiant français, Jean Meyer, entend ce jésuite parler d’un sujet vierge et tabou dans l’historiographie mexicaine, la Christiade. Les deux hommes suivent en Sorbonne un séminaire de doctorat dirigé par Pierre Chaunu. A l’origine, Jean Meyer voulait faire une thèse sur Zapata. Ce sera finalement la Christiade et le début d’une formidable aventure intellectuelle mais, aussi, humaine. Les premiers pas sont compliqués, le sujet est interdit, les archives cadenassées.
Quarante plus tard, Jean Meyer est le spécialiste mondial de la Christiade. Entre son arrivée au Mexique et aujourd’hui, il y a une thèse de 2500 pages, 30 000 km à parcourir le Mexique profond en 4L, ou à dos de mule, à la rencontre des vétérans des deux camps et à chercher des archives. Un immense travail vulgarisé dans de très nombreux livres et publié en plusieurs langues. Les historiens mexicains, et les autres aussi, présentent aujourd’hui Jean Meyer comme l’homme qui a révolutionné l’histoire contemporaine du Mexique.
Il y a dans la presse des réserves sur le caractère populaire de la révolte ?
Oui j’ai lu ça aussi. Il faut mettre ça sur le compte des égarements de journalistes dépassés par leur sujet. La Christiade est le mouvement populaire le plus important de la période de la révolution mexicaine. Ce n’est pas moi qui le dit mais Jean Meyer qui l’écrit. Toutes les générations sont engagées dans la Christiade, y compris les femmes et les enfants. La Christiade transcende tous les clivages, sauf peut-être celui de l’argent… Ceux qui nient ou réduisent le caractère populaire de la Christiade commettent une injustice vis-à-vis des cristeros. Mais, bon, ils ont raté le train de l’histoire…
Pourtant tous les catholiques ne participent pas à cette guerre ?
D’abord 90% des Mexicains sont catholiques. Ensuite, c’est vrai, il y a des catholiques opposés aux Cristeros. En général, tous ceux qui sentent leurs intérêts économiques menacés ou leur pouvoir vaciller : les potentats locaux, les agraristes, ceux qui ont bénéficié de la réforme agraire, les grands propriétaires… On retrouve ici Bernanos, c’est la grande peur des bien-pensants. Un bon exemple de cacique est le parrain de José. Le personnage a existé et son ambiguïté est très bien montrée par le film. Le clergé lui-même est très divisé. Il est globalement hostile aux cristeros. C’est sûrement une faiblesse du film de montrer un clergé unanime et persécuté. Ce n’est pas la réalité. Une autre faiblesse est de donner une image neutre de la Ligue de défense religieuse appelée communément la Ligue. Les chefs de la Ligue, des catholiques encore, en cherchant à diriger politiquement le soulèvement n’ont provoqué que des catastrophes. C’est la ligue qui appelle au soulèvement général le 1er janvier 1927 qui débouche sur un massacre de paysans désarmés, c’est elle qui fait condamner par Rome les brigades féminines, c’est encore elle qui dépense à tort et à travers l’argent récolté par les cristeros pour acheter des munitions. L’apport essentiel de la Ligue est le recrutement de Gorostieta [l’un des leaders du mouvement des cristeros, ndlr].
A suivre, demain, 15 mai… sur le site : www.zenit.org
Propos recueillis par Anne Kurian
Pour aller plus loin :
-L’Epopée des cristeros, 1926-1929 : une « Vendée mexicaine », hors-série Histoire du Christianisme Magazine, 92 pages, 8,90 euros. En kiosque.
-La Cristiada. La lutte du peuple mexicain pour la liberté religieuse, Jean Meyer, CLD éditions, 35 euros, 224 pages (+ de 300 illustrations inédites). En librairie.
-La Rébellion des Cristeros. L’Eglise, l’Etat et le peuple dans la Révolution mexicaine, Jean Meyer, CLD éditions, 23 euros, 348 pages. En librairie.
(14 mai 2014) © Innovative Media Inc.