Jean-Yves Riou est directeur d’Histoire du christianisme magazine et directeur des éditions CLD.
Plutarco Elias Calles, l’ancien gouverneur du Sonora qui n’aimait ni les Chinois ni les catholiques, devenu président du Mexique en 1924 par la volonté de son prédécesseur, après une purge sanglante et des élections truquées, l’homme qui accepta, en 1927, un don de 10 millions de dollars versé par le Ku Klux Klan pour éradiquer le papisme, l’homme que Mussolini inspirait et que l’ambassadeur américain Morrow traitait de «gangster», vient de trouver de nouveaux alliés dans les milieux des informateurs religieux et des critiques de cinéma. La rencontre s’est tenue dans une salle obscure lors de la projection du film Cristeros.
Selon eux, Cristeros ferait peu de cas de l’histoire. Admettons. Mais, alors, pourquoi font-ils la même chose? Au palmarès de la désinformation majuscule, deux palmes d’or. Le Monde du 13 mai qui benoîtement suggère que l’autre nom de l’anticléricalisme mexicain serait la laïcité. Lisons donc la constitution «laïque» de 1917: les ordres monastiques sont illégaux (article 5), l’Etat est autorisé à confisquer les biens de l’Eglise (art 27), le gouvernement peut fixer le nombre de prêtres dans chaque localité (article 130).
Il y a pire et c’est dans La Croix du 14 mai. L’auteur écrit: «Mais forçant le trait sur la brutalité des soldats de l’armée fédérale, ce film oublie l’interdit évangélique de toute forme de violence, y compris pour défendre le Christ.» Laissons la fin aux théologiens pour appeler le spécialiste à la barre: «Les vétérans des deux camps, la presse de l’époque, les rapports diplomatiques, les interpellations du Parlement disent tous la même litanie d’horreurs, perpétuées par les photographies, prises par l’armée fédérale. On ne fait pas de prisonniers, on décime les populations civiles prises en otages. La torture est systématique, pour obtenir des renseignements mais aussi pour prolonger le supplice, pour obliger les catholiques à renier leur foi, puisque la mort ne suffit pas […].» (La rébellion des Cristeros, page 245, Jean Meyer, CLD) Le contexte de la révolution mexicaine, la nature de la guerre et le recrutement de l’armée expliquent cela.
Cristeros, on l’aura deviné, aseptise largement les crimes fédéraux. Il n’oublie pas de montrer celui commis en 1927 par le général cristero Vega, «Pancho Villa en soutane», lors de l’attaque d’un train. Le seul de ce genre commis en trois ans de guerre par l’armée cristera et de surcroît par un prêtre. Nul manichéisme ici.
Et franchement, jusqu’à quel point demander à un film d’être historique? Bien sûr, les personnages et leurs itinéraires sont recomposés, des choix apparaissent critiquables, des omissions regrettables, mais le cadre général est suffisant pour un public, journalistes compris, qui découvre une page méconnue de l’histoire mexicaine.
Il ne faut pas nier les risques – variés – d’instrumentalisation. Mais quoi de mieux, alors, que les travaux historiques pour les contenir. Si les bien-pensants s’intéressaient aux cristeros, au lieu d’en avoir peur, ils découvriraient que leur cri de ralliement, «vive le Christ-Roi», ne traduit pas un rêve de chrétienté obsolète, que leur dévotion pour Notre-Dame de Guadalupe signe leur appartenance à un Mexique métissé et indien, détesté par Calles. Ils découvriraient que dans les zones «libérées», les cristeros, lassés des excès de la révolution, ont cherché la justice, promu l’égalité et l’éducation, vécu une forme de démocratie participative, découvert les liturgies sans prêtre.
Cristeros offre une formidable occasion de se documenter et de chercher à comprendre une aventure humaine et spirituelle, donc universelle. Pourquoi la bouder?
Parce que, les cristeros n’intéressent pas les journalistes qui poursuivent d’autres buts. Ceux de La Croix sont limpides: il ne faudrait pas que les cristeros viennent gonfler les rangs de La Manif pour tous. Pas moins. Mais ces derniers n’en sont pas encore à défiler. Réfugiés dans les salles obscures, ils se demandent surtout combien de temps ils vont pouvoir y rester.
Au fond, peu importe les regroupements de populations ordonnés par le ministre de la Guerre, le général Amaro, et les souffrances endurées. Peu importe les victimes. Ce qui compte, c’est l’idéologie. Alors, après tout, pourquoi ne pas réhabiliter l’armée fédérale et la politique religieuse de Calles?
Allez, soyons juste, Calles avait la stature d’un homme d’Etat (Meyer) mais reconnaissons aussi que ses fantasmes antireligieux ont conduit son pays dans une impasse. Pour en sortir, il a fallu se débarrasser de lui. C’était en 1935. Il n’y pas si longtemps.
Quant aux cristeros, leur épopée magnifique n’a pas fini de nous inspirer.